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La SMERALDA
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La Smeralda

Opéra de Louise Bertin
Livret de Victor Hugo

Le 25 avril 1829, Victor Hugo commence l'écriture d'un nouveau roman intitulé : " Notre Dame de Paris ".
Dès sa publication en 1831, le tout Paris s'arrache les volumes, les visiteurs accourent de plus en plus nombreux devant la cathédrale et bientôt, la France entière fait l'éloge de ce nouveau roman.
Devant cette réussite et toujours à la recherche de nouveaux sujets, bon nombre de compositeurs d'opéras se précipitent chez Victor Hugo.

Gioacchino Rossini est le premier d'entre eux mais il essuie un refus.
Ensuite vient le tour de Giacomo Meyerbeer dont les opéras fascinent l'Europe entière, mais il n'a guère plus de succès.
Le choix de Victor Hugo se porte alors sur Louise Bertin.
Hugo accorde à Louise Bertin ce qu'il a refusé aux autres prestigieux compositeurs et de plus, il s'engage à lui écrire le livret de ce futur opéra.
Pourquoi le choix de Victor Hugo s'est-il orienté vers Louise Bertin et qui est-elle ?
Louise est une excellente musicienne qui a déjà composé deux opéras " Le Loup Garou " et " Fausto " qui a été fort bien accueilli par le public lors de sa création à l'Opéra Comique.
Elle est la fille de Louis-François Bertin dit " Bertin l'aîné ", directeur du fameux " Journal des Débats ".
Royaliste convaincu, Louis-François Bertin a toujours soutenu Victor Hugo même dans les moments les plus difficiles.
Cependant, il faut aussi savoir que le " Journal des débats " n'a pas toujours été tendre avec d'autres écrivains tels qu'Alexandre Dumas.
Néanmoins, les véritables raisons qui ont poussé Hugo à choisir Louise Bertin plutôt que d'autres compositeurs sont d'ordre sentimental.
Depuis la séparation de Victor Hugo et d'Adèle Foucher son épouse, les enfants Hugo passent leurs vacances au château des Roches chez les Bertin.
Louise a une tendresse particulière pour les enfants de Victor et elle considère Léopoldine Hugo comme sa propre fille.
Devant tant de sentiments et de tendresse, il est difficile à Victor Hugo de refuser à Louise Bertin l'autorisation de composer un opéra sur les textes de " Notre Dame de Paris " et surtout de ne pas lui proposer d'en écrire le livret.
Dès 1832, ils se mettent au travail.
Louise Bertin est une musicienne de caractère qui sait ce qu'elle veut.
Dès que Victor Hugo termine quelques vers du livret et que cela lui convient, elle les met aussitôt en musique.
Cependant, même si une amitié sans faille les lie, elle n'hésite pas lorsque certains écrits ne lui plaisent pas, à demander à l'auteur de revoir sa copie.
Au tout début de l'année 1836, la direction de l'Opéra (salle Le Peletier) très proche de Louis-François Bertin, informe celui-ci que l'opéra de sa fille pourra être créé lors de la prochaine saison et que pour cette création, il fera appel aux interprètes qui ont eu la lourde tâche de créer l'opéra de Fromental Halévy : " La Juive ".
Savoir que l'opéra de sa fille " Notre dame de Paris " sera créé par les grandes gloires du moment que sont : Adolphe Nourrit, Cornélie Falcon, Nicolas Prosper Levasseur et Eugène Massol …etc. réjouit pleinement Bertin qui n'en espérait pas tant.
L'heure est donc venue de présenter l'opéra qui comprend alors cinq actes à la direction de l'Opéra, aux différents interprètes et à la censure.
La partition certes un peu saccadée n'est pas sans rappeler Mozart compositeur préféré de Louise Bertin, mais dans l'opéra tout comme dans le roman, Victor Hugo dénonce la misère du peuple et le style Mozart ne convient pas toujours à certaines situations.
Afin de bien mesurer le contraste, Louise Bertin a corsé certains passages en incluant dans sa partition le style " pompier " qui leur convient mieux.
Dans cette composition, elle a su exprimer la verve de Victor Hugo au travers de masses instrumentales un peu trop poussées.
Dès que Chambon décorateur de l'Opéra étudie le livret, il constate que le cinquième acte nécessite de gros moyens en matériel et que le décor est extrêmement difficile à réaliser.
Certes, l'opéra en a vu d'autres et notamment avec la création de " La Juive " pour lequel on a construit un spectacle fastueux en empruntant au cirque Franconi plusieurs chevaux pour le cortège impérial à la fin de l'acte I.
La censure cependant va donner l'occasion de régler le problème.
En effet, dans le livret de cet opéra, Frollo est un prêtre qui tombe éperdument amoureux d'Esmeralda, qui tue son rival par amour et qui fréquente les lieux condamnés par l'Eglise que sont les cabarets.
C'est plus qu'il n'en faut pour mettre en émoi toutes les censures de France et de Navarre !
Il ne reste plus au tandem Hugo/Bertin qu'à revoir sa copie.
La direction de l'Opéra profite de la décision de la censure pour réclamer la suppression du cinquième acte et ramener l'opéra à quatre actes seulement.
Le ténor Adolphe Nourrit qui trouve le rôle de Phoebus peu convaincant réclame lui aussi une "cabalette"supplémentaire à l'acte III.
Comme tous les étés, Victor Hugo et sa compagne Juliette Drouet doivent effectuer un voyage et cette année, ils ont prévu de se rendre en Bretagne.
Cependant les évènements bousculent leurs projets et Juliette se voit obligée d'effectuer seule ce voyage tandis que Victor Hugo reste à Paris pour pallier avec Louise Bertin aux exigences de la censure.
L'œuvre remodelée en 4 actes est terminée au mois de septembre.
Dans cette nouvelle version, l'on s'éloigne fortement du scénario original.
La différence entre le riche et le pauvre est quelque peu atténuée et Frollo n'est plus un prêtre mais un magistrat.
Tout ceci passe mieux aux yeux de la censure.
Voyant son livret quelque peu éloigné du roman " Notre Dame de Paris ", Victor Hugo décide avec l'accord de Louise Bertin d'intituler l'opéra " La Esmeralda "
Ce livret ayant obtenu tous les accords nécessaires, les répétitions peuvent commencer.
Cependant, Louise Bertin partiellement infirme ne peut assurer la supervision de ces répétitions et c'est son ami Hector Berlioz qui s'en charge.
Il est bien connu que lorsque Berlioz prend en main une partition qui ne lui appartient pas, il y dépose tout de même ce que l'on appelle en langage musical sa " griffe ".
Il conseille alors à Louise Bertin de revoir la scène du " pilori " qui manque un peu d'effet et retouche également l'air " des cloches " dont la terminaison ne lui plait pas.
Outre Berlioz et Hugo, une autre personne suit également les évènements de très près, il s'agit d'Alexandre Dumas

La première représentation de l'opéra a lieu le 14 novembre 1836 avec la distribution suivante :

Esmeralda ............................Cornélie Falcon
Phoebus............................... Adolphe Nourrit
Claude Frollo .....Nicolas Prosper Levasseur
Quasimodo ............................Eugène Massol
M. de Gif ........................................F. Alexis
M. de Morlaix ................................F. Prévot
Clopin P.............................................F. Wartel

   
Le soir de la première représentation, le résultat est plus que satisfaisant.
Melle Cornélie Falcon et M. Prosper Levasseur dominent la distribution dans des rôles jugés très difficiles.
Adolphe Nourrit est un Phoebus irréprochable et comme à l'habitude, le public parisien s'extasie devant la finesse de ses nuances.
Au sein de la production grandiose signée Chambon, Eugène Massol incarne un Quasimodo parfait.
Si le résultat de cette première satisfait une partie du public parisien, elle ne convainc pas certains notables.
Alexandre Dumas et d'autres écrivains pensent à tort que la musique de " La Esmeralda " est signée Hector Berlioz.
Dès lors une cabale se prépare et cette cabale n'est ni plus ni moins qu'un règlement de comptes de certains écrivains qui ont eu à souffrir du " Journal des Débats ".
Le 22 décembre 1836, au soir de la sixième représentation de " La Esmeralda ", Alexandre Dumas qui est franchement hostile à la famille Bertin s'en donne à cœur joie en criant de toutes ses forces du haut des balcons : " C'est du Berlioz ! C'est Hector Berlioz qui a composé cet opéra ! A bas les Bertin ! A bas le Journal des Débats !
De nombreuses personnalités reprennent les slogans de Dumas et la représentation ne peut s'achever.
Cette soirée est un véritable affront pour les Bertin.
Cette machination politique et ces règlements de comptes sont regrettables car " la Esmeralda " est tout de même un petit chef d'œuvre.
Devant cette situation, Victor Hugo use de son influence et fait retirer l'œuvre du répertoire de l'Opéra de Paris.
Par la suite, l'opéra est réduit à un acte que l'on présente seulement en ouverture des grands opéras, afin de laver un peu l'affront fait à la famille Bertin
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